mardi 24 août 2010

La Petite Dorrit (Little Dorrit) - Charles Dickens - 1857


Après la mort de son père, Arthur Clennam revient à Londres pour se rendre auprès de sa mère invalide et lui remettre une montre que lui a confiée son père mourant. La réaction violente de sa mère semble confirmer les suspicions d’Arthur sur l’existence d’un grave secret de famille. De plus, l’étrange bonté dont elle fait preuve envers sa jeune couturière, Amy Dorrit, pousse Arthur Clennam à s’intéresser à la jeune fille. Elle-même se comporte de manière singulière, insistant pour manger seule, refusant de se mentionner sa vie privée. Un jour, il la suit jusqu’à chez elle : c’est ainsi qu’il découvre la Marshalsea, la prison pour dette, et fait la connaissance de William Dorrit emprisonné depuis plus de vingt ans.


Chers amis, voilà un roman passionnant, sur les thèmes de l’emprisonnement, l’immobilité, l’enfermement, la captivité, l’isolement, l’aliénation, la contrainte, l’oppression. Et en effet, ce n’est pas la petite Dorrit la véritable héroïne de l’histoire, contrairement à ce que le titre indique. Ces choses là sont très farceuses, et se plaisent à induire l’innocent lecteur en erreur. Au hasard : Le Rouge et le noir, qui est un peu la meilleure blague de l’histoire des titres, suivi de près par Oh Les beaux jours et Les Trois mousquetaires, qui étaient cinq, comme chacun le sait. Il va falloir que je songe à en faire un billet. Mais il semble que je digresse, et bien que la digression soit éminemment dickensienne (comme on le verra plus tard) je vais tâcher de revenir au propos initial qui traite de la véritable héroïne de l’histoire que je vais dévoiler sous vos yeux ébahis : la prison pour dette. C’est à elle qu’on vient et qu’on revient ; c’est elle qui menace, fascine et façonne les esprits, et on retrouve sa marque bien au-delà de ses murs, bien au-delà des frontières de Londres, et même de la Grande Bretagne. Elle est matériellement présente durant toute la première partie du livre ; une véritable société parallèle s’est développée en son sein, et son roi n’est autre que le doyen des prisonniers, William Dorrit, dont la grandeur n’a d’égale que la médiocrité.


La deuxième partie du roman est placée sous le signe des voyages, et là on observe les agissements d’une autre société, celle des Anglais à l’étranger. Elle se situe en contraste avec la première partie, mais non en opposition car la prison pour dette est toujours présente dans l’esprit des personnages, bien qu’elle ne soit que rarement mentionnée. Son ombre plane sur les canaux de Venise, les ruelles de Rome, les sentiers des Alpes, ce qui leur donne un petit côté brrrr qui n’est pas pour déplaire à votre humble servante.




La prison, comme Ursula, est brrr et tentaculaire.


A ce sujet, je retrouve le côté dark de Dickens que j’aime tant : les secrets de famille, la confusion entre rêve et veille, les magouilles, les maisons sombres et labyrinthiques, les personnages louches et excentriques. On a un méchant très méchant français et galant homme de son état. On a une vieille fille misanthrope et paranoïaque. On a la très volubile, nostalgique et dodue Flora Finching. On a Affery, la servante victime d'hallucinations. Les personnages sont tous affectés de torsions, de bizarreries ; c’est moins la cas que dans d’autres Dickens - et la preuve est qu’il n’y a aucun personnage de la Petite Dorrit qui ne soit entré dans le paysage culturel anglais comme Miss Havisham, ou Uriah Heep, ou Fagin - mais ça n’en reste pas moins réjouissant. Ils donnent lieu à des scènes flamboyantes, comme le délire de William Dorrit au milieu d’un dîner mondain, comme la confession éclatante de Mrs Clennam, comme la disparition de Rigaud.


Et en même temps, comme toujours chez Dickens, ce dark side cohabite avec un univers très réaliste : le Londres des spéculateurs, des indigents, des artistes, des ingénieurs, des financiers, des arrivistes, des fonctionnaires. La critique du bureau des circonlocutions est savoureuse, et annonce la SDN de Belle du Seigneur. Dans La Petite Dorrit, bien plus que dans les autres romans de Dickens, il est question d’argent, d’emprunts et de dettes, de spéculation et de ruine (d’ailleurs, la crise financière décrite dans la deuxième partie a quelque chose de très actuel et moderne). C’est par l’argent plus que par les titres que les personnages grimpent les échelons de la société, et en redescendent presque aussitôt.



(c'est moi ou ce truc ressemble à un phallus?)

Et bien sûr, la complexité des intrigues, les liens insoupçonnés et insoupçonnables entre les personnages qui se développent sur tout le continent européen, les naissances et les chutes d’empires qui affectent les destins de tous, tout cela est hautement prenant. Tout est digression dans ce roman (je vous avais dit qu’on y reviendrait), mais au final, elles se recoupent toutes (comme dans mes billets, en toute modestie).


C’est un des romans de Dickens que j’ai préféré, et je n’ai pas vu passer le petit millier de pages. Je le considère comme un très grand livre. Quel dommage qu’il soit si peu connu en France, et surtout si pas publié en poche. Il existe en Pléiade seulement, et pour la démocratisation de la culture, on repassera. J’ai posé cette question une fois : pourquoi les meilleurs Dickens ne sont-ils pas disponibles en poche? On m’a fait cette réponse laconique : parce que Dickens n’intéresse pas le lectorat français. Ah.


mercredi 28 juillet 2010

Du côté de chez Swann - Marcel Proust - 1913




Avertissement : pour des considérations un peu plus sérieuses sur Proust et qui traitent vraiment de la Recherche, s’adresser à Antoine Compagnon.


J’avais amené ce livre avec moi lors de mon voyage au Laos, afin de me mettre au pied du mur et de m’obliger à le lire. J’avais plein de raisons plus ou moins avouables pour lire Proust ; face à un monstre pareil, le mot «chef d’oeuvre» n’est pas un argument suffisant. Que ceux en désaccord avec moi me lancent la première intégrale de la Recherche en un volume.


Premier argument assez nul : plein de gens autour de moi l’ont lu/sont en train de le lire/sont obsédés par lui. Les savants le citent d’un air entendu dans les soirées mondaines et l’appellent par son petit nom : «La Recherche» (bien prononcer le «R» majuscule). Donc pression sociale : ne pas lire Proust c’est être ringard, hors du coup.

En même temps, lire Proust c’est être ringard, hors du coup ; c’est être un intellectuel pédant dans la lune qu’a rien compris à ce qu’était la vraie vie. (Ce à quoi j’ai envie de répondre que la vraie vie, c’est la littérature, mais chaque chose en son temps).


Deuxième argument un peu limite : lire la Recherche, c’est appartenir à un club : ceux qui ont lu la Recherche. C’est comme ceux qui ont lu l’Ulysses de Joyce (mais on ne m’y reprendra pas). C’est aussi comme ceux qui parlent le Klingon, ou ceux qui ont vu tous les Buffy, ou ceux qui savent toucher leur nez avec le bout de leur langue. Une communauté se crée, une complicité s’établit ; ceux-là sont différents, au dessus de la mêlée. Ils sont cools. Moi aussi j’ai envie d’être cool.


Troisième argument vraiment pas terrible : les défis, ça me stimule.


Mais je n’avais jamais réussi à dépasser la page 40, quand le petit Marcel veut sa maman depuis vingt pages sinon il peut pas s’endormir, même quand il s’est un peu masturbé avant, c’est comme ça, ya rien à faire. On a envie de lui dire qu’il est une heure du matin et que c’est-pas-possible d’autant se prendre la tête, et que un peu de concentration (diantre!)

J'avais quand même lu il y a deux ans le petit volume auto-suffisant d'Un Amour de Swann, mais dès qu'il s'agissait du premier tome en entier, c'était au-dessus de mes forces.

C’est au Laos que j’ai compris qu’il fallait s’adapter au rythme de l’oeuvre qui nous est imposé et exige une lenteur, une quiétude d’esprit, un certain abandon et en même temps de la concentration. Il faut véritablement s'accrocher au courant de ces mots, de ces très longues phrases qui n’en finissent pas, et dont on peut oublier le début, et même le milieu, mais ce n’est pas grave et il ne faut pas se laisser abattre par si peu. C’est le genre de livre qui demande à ce qu’on ait suffisamment de temps devant soi pour ne pas s’en soucier et s'en abstraire. Pour moi, c’est un livre de vacances. Donc : ne pas lire Proust dans le métro, ne pas lire Proust dans une salle d’attente, ne pas lire Proust dans une queue à Eurodisney. C’est comme ne pas nourrir les Mogwaïs après minuit : c’est très simple comme recommandation et ça va tout seul.


C’est ainsi que, coupée du téléphone, d’internet, de toute obligation sociale, je l’ai lu d’une traite, dépassant allègrement la page 40, sans sauter de lignes.


Ce serait drôle de vous faire un résumé.


Non je rigole. Les Monty Python font ça très bien.


Bon en gros, dans le premier tome, le narrateur explore ses souvenirs d’enfance dans la campagne normande au tournant du XXè siècle où il rencontre un personnage qui va l’obséder durant des années : Charles Swann. Je ne vous le cache pas : il ne se passe rien. Mais l’histoire importe peu : tout n’est que sensations et perceptions, abordées de plein de points de vue différents à des époques différentes. Il y a une volonté de saisir le réel dans son exhaustivité, si bien qu’on peut reconnaître dans Proust nos propres impressions et prises de tête, nos propres relations avec les gens : il sait les identifier et mettre les mots exacts dessus, alors que nous, simples mortels, ne nous en rendions même pas compte. Tout ce qu’il dit est vrai et toutes les pages sont remplies de révélations sur nous-mêmes et nos passions.


Et puis il est très drôle Proust. Toute sa critique des milieux bourgeois et aristocratiques de son temps est à hurler de rire, surtout quand on traîne du côté des Verdurin et de leurs «familiers», ces parvenus qui aimeraient bien avoir l’air, mais qu’ont pas l’air du tout. Le narrateur se montre impitoyable, mais jamais méchant : on sent un attendrissement devant leur bêtise.

Françoise, la cuisinière de la tante Léonie, offre aussi de beaux moments comiques dans sa persécution envers son aide. Par exemple, elle fait servir des asperges tout l’été à la famille du narrateur:


"[...]bien des années plus tard, nous apprîmes que si cet été-là nous avions mangé presque tous les jours des asperges, c’était parce que leur odeur donnait à la pauvre fille de cuisine chargée de les éplucher des crises d’asthme d’une telle violence qu’elle fut obligée de finir par s’en aller."

Je me suis aussi bien marrée avec les tantes Céline et Flora, ces deux vieilles filles inséparables qui ne parlent que par lourds sous-entendus incompréhensibles. Et puis le narrateur tombant amoureux de Gilberte est hilarant et confondant de naïveté, d’espoir, de dévouement envers son aimée.

Et puis Proust, c’est plein de surprises. La société aristocratique qu’il décrit est polie et conservatrice, mais cache de nombreux vices. Pas d’exemples pour ne pas spoiler.

Enfin, il m’a été agréable de reconnaître tel ou tel passage très souvent cité : le coup du petit cabinet qui sentait l’iris, de la dame en rose, des catleyas, du coup de foudre du narrateur pour Gilberte. Et aussi faire véritablement connaissance avec Swann, Odette, Charlus, comme des amis d’amis souvent mentionnés, mais qu’on n’a jamais rencontré. Ce qui est étonnant avec Proust, c’est qu’il fait tellement partie de notre paysage culturel qu’on a une impression de familiarité en le lisant.


Donc voici mes premières impressions en découvrant le premier tome de la Recherche (avec un «R» majuscule). Je frétille d’impatience de lire la suite, mais il faut que j’attende le bon moment pour que Proust demeure un véritable plaisir. Ce n'est pas si difficile que ça : il suffit d'être prêt et d'en avoir envie.


Bon, maintenant je suis lancée dans la Recherche du temps perdu, il y a deux types de relous à éviter :

  • ceux qui sont contre la culture par principe et pour qui Proust = Antéchrist.
  • ceux pour qui Proust = Dieu, et qui se prennent pour ses archanges.

Mais je sais que vous n’êtes pas comme ça, gentils lecteurs.

dimanche 11 juillet 2010

Bored to Death - HBO - 2009


Je suis très difficile en séries ; je n’ai pas dit exigeante notez. C’est-à-dire que j’ai beaucoup de mal à trouver des séries qui me plaisent, mais quand j’accroche, ça ne veut pas forcément dire qu’elles vont faire l’unanimité. Je pense à Desperate Housewives (qui n’est jamais crédible), Big Bang Theory (toujours le même type de blagues), Merlin (pour les prépubères), Glee (parfois qq). Mais je les aime d’amour.


On pourra trouver des défauts à Bored to Death. Mais ce n’est pas grave.


Jonathan Ames (Jason Schwartzman) est un écrivain juif new-yorkais mal dans sa peau, obsédé par son ex, qui n’arrive plus à aligner deux mots sur son Mac (syndrome qui guette dangereusement votre humble servante). J’aime beaucoup ce concept ; on pourrait presque en faire un acronyme comme les américains en raffolent : SHNYJ (Self-Hating New York Jew). Tout cela donne lieu à de jolies scènes de comédie à la Woody Allen, avec un humour tendrement déjanté, subtil, mélancolique.




Mais Jonathan Ames, comme tout bon superhéros, cache une autre identité: écrivain raté le jour, détective privé non agréé la nuit. Le plan, c’est de faire de sa vie un roman noir à la Chandler, à la Ellroy, et Jonathan Ames prend un plaisir évident à s’approprier le vestiaire de Humphrey Bogart (d’ailleurs, on se souvient que Woody Allen lui voue un véritable culte dans «Play It Again Sam»). On y sent une désuétude, une nostalgie, pas désagréables ma foi. Et effectivement, on a bien les belles femmes vénéneuses, les rues sombres d’une grande ville, l’alcool, les volutes de cigarette, les hôtels minables, les maîtres chanteurs. C’est très étonnant de voir cet univers transposé dans le New York du XXIè siècle. Mais toute cette ambiance n’est pas à la hauteur des cas minables qu’on lui confie. Jonathan Ames est un détective un peu nul, résout ses affaires sans le faire exprès, mais c’est ce qui est rigolo.




Les autres personnages sont à l’origine de scènes à l’humour plus gras, et tout aussi jouissif. Ray, le duveteux et potelé meilleur ami du héros, est un dessinateur de bande dessinée qui connaît des complications sexuelles dans son couple et fait généreusement don de sa semence à des lesbiennes. (Vous l'avez reconnu? C'est le barbu dans Very Bad Trip!)




George, le patron de Jonathan, est un vieux beau à l’air ahuri, qui trompe son ennui et oublie son âge dans les bras de ses conquêtes et la fumée de ses joints. C’est RE-JOU-I-SSANT! Ce sont des personnages à la Wes Anderson (dont Jason Schwartzman est un habitué): ils sont névrosés, ne sourient jamais, ont les yeux tombants, chuchotent plus qu’ils ne parlent, et ont constamment l’air en apesanteur. D’où la très légère sensation d’ennui qu’on peut ressentir en regardant cette série: les personnages sont «bored to death» et se distraient comme ils peuvent.




Et puis un atout de taille: New York, qui n’a pas été aussi bien filmé depuis Sex and the City. On s’y promène beaucoup, et pour une fois, on sort de Manhattan, on prend le métro et on va à Brooklyn. J’aime beaucoup la façon dont la série exploite cette ville, et s’approprie le New York de Woody Allen et du film noir.


Alors pour la nouvelle saison, j’aimerais qu’ils exploitent davantage l’alcoolisme de Jonathan, les BD de Ray et qu’il y ait un véritable fil conducteur entre les épisodes. Parce qu’à 8 épisodes par saison, on peut faire un effort. Sinon, ne rien changer: c’est parfait.


lundi 21 juin 2010

Kick Ass - Matthew Vaughn - 2010


WARNING: Ne faites pas comme moi : ne croyez pas l’affiche. ELLE MENT. Par contre fiez vous à la petite affichette aux caisses qui vous prévient que ce film peut comporter des scènes violentes susceptibles de heurter la sensibilité du spectateur. ELLE DIT VRAI.


Je pensais vraiment aller voir une daube. L’affiche annonce la daube, la bande annonce est en plein dans la daube, le pitch se meut dans la daube.

Je suis comme ça moi : je n’aime pas lire de mauvais livres, mais ça ne me dérange pas de regarder des films un peu nuls en sachant que c’est un peu nul, tant que je rigole bien. Après tout, ça prend max deux heures.


Ca commence comme un film d’ados normal: la bande de loosers puceaux férus de comics, qui n’arrivent pas à pécho les filles, et qui évacuent leur frustration dans leurs chaussettes. On est en terrain connu: c’est Superbad, c’est les Beaux gosses, c’est American Pie.



Voyez le genre?


Seulement Dave a une obsession: devenir un superhéros. Et il ne se contente pas d’en fantasmer: il passe commande d’une tenue de plongée sur internet, en fait son costume, et s’attribue un nouveau nom: Kick-Ass. Il décide alors d’aller combattre le crime dans les rues de New York. Mais non seulement il ressemble davantage à un batracien qu’à Spiderman, mais il se heurte contre la dure réalité: au lieu de kicker des ass, il se fait kick-asser. Il réussit tout de même à attirer l’attention, de tout New York certes, mais aussi de super héros un peu plus crédibles que lui: Big Daddy, Hit Girl et Red Mist.



A gauche Big - Nicolas Cage - Daddy, comme l'indiquent les initiales sur le ceinturon. A gauche Hit Girl. (comme l'indiquent les initiales.)(toujours sur le ceinturon, oui oui)


Red Mist et son look d'emo


Kick-Ass propose une réflexion très intéressante sur l’héroïsme. Dave n’est pas doté de super pouvoirs, il n’a pas été piqué par une araignée, il ne maîtrise pas les arts martiaux, il n’a pas de gadgets, il n’a même pas de parents ou de petite amie à venger. Il est normal: pas très beau, pas repoussant non plus, pas brillant, pas demeuré non plus. Il veut juste aider les gens, pas forcément des millions, juste des individus, un à un. Et dans cette modeste volonté de soulager les maux de sa ville, il est extrêmement touchant car il s’accroche à ses principes, même s’il se fait tabasser, même s’il est mort de trouille, même s’il a l’air ridicule dans son costume. On rit de lui, mais on ne peut s’empêcher de l’admirer quand il essaie de retrouver le chat perdu d’une annonce, quand il tente d’empêcher deux caïds de voler une voiture. Si les autres «super héros» du film ressemblent davantage que lui à ceux des comics, par leurs histoires, par leurs gadgets, par leurs techniques de combat, c’est lui le véritable héros du film.



Ce film interroge également le rôle des témoins d’une agression, et nous prend nous spectateurs à partie. Il y a cette scène extraordinaire, où Dave défend un pauvre mec des attaques de trois costauds et où il prend très cher, pendant que des témoins le regardent faire à l’abri d’une vitre, et enregistrent tout sur leurs téléphones. On se dit: il est fou, il va finir déchiqueté. Et c’est exactement la remarque que lui fait un des agresseurs. Dave a cette réplique très forte (je restitue à peu près): «Tu dis que je suis fou, alors que ce mec se fait agresser par vous trois, pendant que tous ces gens regardent sans rien faire? Et c’est moi qui serait fou?» Et là on se rend compte qu’il s’adresse également à nous spectateurs, aussi planqués derrière notre écran.


Kick-Ass réfléchit aussi sur l’importance des médias, d’Internet, des vidéos. Plusieurs scènes de grande violence sont filmées par des personnages, envoyées sur Youtube, et visionnées à grande échelle. Les gens sont devant ces vidéos comme devant un film, la réalité devient fiction, et l’extrême violence ne les choque plus, alors qu’elle est présentée comme réelle. Il y a cette scène incroyable d’une exécution filmée (spéciale dédicace Al Quaida) et reproduite à la télévision en direct : on voit alors la réaction des différents personnages, qui est presque systématiquement un mélange très gênant d’horreur et d’excitation. Et le pire, c’est qu’on se dit que c’est très vrai et très humain.


Kick-Ass se révèle un film de super héros ultra violent, façon Tarantino. Seulement là où une certaine esthétique demeure chez Tarantino, là où on sait que les super héros ne meurent pas dans les comics, ici une certaine laideur persiste, ici on n’est jamais sûr du destin des personnages. Le ridicule des costumes rappelle que Big Daddy, Hit Girl, Kick-Ass, Red Mist ne sont pas des superhéros. Big Daddy a un costume de Batman absurde ; son Robin, Hit Girl, a une perruque synthétique affreuse ; Red Mist ressemble à un membre de Kiss et Kick-Ass.. ben c’est Kick-Ass. Et puis leurs noms ne sont pas des noms, ce sont des blagues. Mais du coup leur ridicule nous rappelle sans cesse à une certaine réalité qui est censée être la nôtre, et l’on ressent d’autant plus la violence des coups assenés. On ne sait jamais trop à quoi s’attendre: on tente de se rassurer en se disant que Dave ne peut pas mourir, puisque c’est lui le narrateur. Mais là encore il s’adresse à nous: «Ne vous tranquillisez pas en pensant que je ne meurs pas, puisque je vous parle. Vous avez déjà vu American Beauty? Sunset Boulevard?» Gloups.


Donc bien sûr que Kick Ass est un film drôle. Le titre ne ment pas complètement. C’est très drôle même, et irrévérencieux. Il y a quelque chose d’assez insolent de voir ces adolescents, ces enfants presque, mêlés à une telle violence. Et la petite fille dit des gros mots aussi.

Mais il y a une noirceur, une dimension tragique, une violence, une émotion indéniables. S’il commence de manière un peu molle, il prend beaucoup de rythme dès l’arrivée des autres super héros, et ne faiblit pas. Je suis restée accrochée à mon fauteuil, complètement terrifiée pour les personnages, et attendant la suite avec impatience.


En parlant de suite, je pense qu’on ne coupera pas à un Kick Ass la vengeance (surtout qu'il y a de quoi venger).


Et au fait, vous avez reconnu qui joue Red Mist?



C'est le mythique Mac Lovin de Superbad! (il y a un group facebook pour ceux que ça intéresse)


samedi 12 juin 2010

Sex and the City 2 - Michael Patrick King - 2010


Ce film me travaille trop pour que je résiste à l’envie d’en parler. Je ne pense pas que ce soit une réussite, mais deux-trois choses valent la peine d’être notées. Alors en vrac, parce qu’on ne peut pas prendre son goûter, poser son vernis, blogsurfer et écrire un billet structuré en même temps.


Deux ans après le «je le veux» de Big et Carrie, tout le monde pique une crise. Heureusement, Samantha est là et emmène ses copines faire la teuf à Abou Dhabi, tous frais payés.

Voilà ce que j’en pense:

  • Carrie est insupportable: elle empêche Big de regarder la télé tranquillement, elle envoie balader Charlotte qui a des problèmes de couple, elle mobilise toute la planète quand elle revoit Aidan, alors que ses copines ont quand même des soucis plus graves (et plus intéressants). Elle est comme une méchante gamine qui veut attirer l’attention de tout le monde. Alors je me demande: l’ont-ils faite délibérément pénible? Est-ce qu’on est censé regarder cela avec distance, ou au contraire, avec sérieux et compassion? Franchement, je ne sais pas, mais en tout cas je l’ai detestée.


  • En même temps, le film aborde de vrais problèmes un peu tabou. Par exemple, Miranda et Charlotte n’arrivent plus à gérer leur maternité, qui ont besoin de prendre des vacances, mais ne peuvent s’empêcher de culpabiliser de laisser leur progéniture à la maison. En ces temps qui exigent des femmes d’être des mères parfaites et de s’en estimer heureuses, j’ai trouvé que l’initiative était pas mal. Il y a une scène hilarante où Miranda confesse Charlotte, complètement digne de la série.
  • Et dans le sens inverse, le non désir de maternité de Carrie est également provocant. On voit à quel point un couple doit faire d’efforts pour n’être que deux, pour le reste de leur vie.


  • L’abondance de luxe m’a embarrassée. Quand elles sont à l’hôtel, je ne savais plus où me mettre. Bon, je comprend ce qu’ils ont voulu faire: on est en temps de crise, donc on fait comme Hollywood dans les années 30, et on compense pour faire un peu rêver les gens. En ce qui me concerne, je n’ai pas trouvé cela glamour, mais indécent, outré, gênant. Même les fringues n’ont pas fait tilt, et j’ai trouvé leurs tenues dans le désert carrément absurdes (en même temps, c'est Miranda qui a choisi).
  • Puis ce film fait un peu trop propre sur lui, trop lisse. L’appart de Big et Carrie est parfait, mais à l’image d’un Elle décoration, alors que dans la série, on pouvait voir Carrie s’affaler dans son appart un peu bordélique. Les filles ont des looks de shootings de magazines (ce qui n’est pas toujours une réussite), alors que dans la série elles ont des tenues portables par des femmes lambda (plus ou moins).


  • Mais faut dire que tout n’est pas si lisse et parfait, et là je parle du corps des actrices. On voit qu’elles ne sont plus toutes jeunes, même si elles sont toujours belles. Le corps de Carrie est très mince, mais est devenu très sec, avec des veines apparentes. On la voit se raccrocher de toutes ses forces à son corps de jeune fille. Samantha a pris du poids, a vieilli, passe le cap de la ménopause, et le film en parle. On la voit prendre ses pilules, on voit sa libido s’effondrer. Et que dire de la performance de Liza Minelli? Ils auraient pu faire appel à, je sais pas moi, Lady Gaga, ou Miley Cirus, ou Rihanna, mais non. Ils vont chercher une sexagénaire. Les gros plans sur son visage peuvent gêner: on voit la chirurgie esthétique, le sourire crispé, les yeux trop écarquillés.
  • c’est un film où on ne voit que des femmes de plus de quarante ans, mais encore belles, mais en même temps on sent l’effort, et c’est triste et embarrassant. Grattez sous le bling bling, et vous trouverez des corps vieillissants. Et j’ai aimé cette tension, qui nous met face à nos propres craintes.


  • La question du voile qui fait parler tout le monde. Je ne sais pas quoi en penser, et le film non plus on dirait. Carrie fait des blagues très connes, Samantha s’insurge et Miranda prône la tolérance et le respect de la culture d’autrui : qui a raison? La plupart des gens ont été choqués par la façon dont le problème a été abordé, et par la condescendance du film. Moi je trouve qu’en définitive, le film est un peu plus subtil qu’il n’y paraît, car il montre comment un révolte sourde gronde chez les femmes voilées, qui ne sont pas si soumises qu’il n’y paraît. Et je reconnais là Sex and the City, qui traite de sujets tabous sans mettre de gants, de façon culottée, ce qui ne veut pas dire que le raisonnement manque de finesse.


  • Sinon, le problème avec ce Sex and the City, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de sexe, et pas beaucoup de City. Abou Dhabi est présenté comme un nouveau New York (après tout il y a bien des gratte-ciels), mais ça ne tient pas le coup deux minutes, et le film le reconnaît rapidement. Et de toute façon, c’est même pas tourné à Abou Dhabi, mais à Marrakech. Paraitrait que les Emirats voulaient bien se faire un peu de pub, mais pas au point d’admettre ces femmes perdues sur leur sol.


Comme vous le voyez, je suis très mitigée. Cela dit, je dois admettre que tout n’est pas à jeter. Il y a un certain plaisir à les retrouver et à voir ce qu’elles deviennent, comme si c’était de vieilles copines. C’est moins bien écrit que la série, moins spirituel, moins nerveux, mais c’est mieux que rien. Ca reste drôle et culotté, et Samantha reste Samantha.



Maintenant pour le 3, je veux un vrai scénario : ça ne suffit pas de les mettre en vacances et de les faire changer de tenue à chaque scène.

mardi 8 juin 2010

Cent ans de solitude (Cien años de soledad) - Gabriel García Márquez - 1965


(J’ai pas envie de me faire engueuler. M’engueulez pas.)


Gabriel Garcia Marquez et moi, c’est pas passé, et croyez-moi, j’en suis la première marrie. Cela avait bien commencé pourtant: un couple qui recommence la société à zéro dans une région reculée de Colombie, et qui fonde le village de Macombo. Ce patriarche scientifique fou qui se livre à l’alchimie avec l’or de l’héritage de sa femme. Ce saltimbanque qui fait parvenir au village les dernières inventions magiques du monde civilisé. Cette famille qui s’agrandit, au mépris d’une malédiction liée à un inceste originel.


Bien sûr que tout cela me parle. De plus, GGM est le grand inspirateur de mon bien aimé Salman Rushdie (qu’il soit mille fois béni)(Salman Rushdie, pas GGM), le grand prêtre du réalisme magique, j’aurais du être comblée.


Mais blocage il y a eu. J’ai trouvé l’écriture laborieuse. Je trouvais que l’histoire se construisait péniblement, et que le renfort continu de personnages plus déglingués les uns que les autres ne faisait qu’accentuer cet effort. J’avais l’impression d’être en face d’un livre qui se voulait chef d’oeuvre - très désagréable et gênant comme sensation.


Et je n’ai pas cru aux personnages. Déjà je n’arrivais pas à distinguer qui était qui, et je ne parle même pas du fourmillement de José Arcadio et d’Aureliano dans la famille Buendia. Je n’arrivais même pas à faire la différence entre les femmes.


J'ai trouvé leurs histoires anecdotiques, digne de faits divers, d’un zapping.


Alors voilà, ça m’embête furieusement. C’est typiquement le genre de livre qui devrait me plaire, et ça a fait un gros splosh. (en même temps, c’est peut-être la faute à la température: il faisait plus de 40° ces journées là.) Et je m'en veux, faut pas croire.


Cent Ans de Solitude me fait l’effet d’un chef d’oeuvre raté. Car je reconnais volontiers que c’est un chef d’oeuvre, si on accepte qu’un chef d’oeuvre, c’est ce qui crée ses propres règles, son propre modèle. Or Cent Ans de solitude, c’est un peu le parangon du réalisme magique sud-américain, bien fol est celui qui le nierait.

Je n’ai pas aimé ce livre (enfin, la moitié que j’ai lu), mais il vaut peut-être mieux écrire un chef d’oeuvre raté qu’un bon roman. Il peut rater des rencontres individuelles, mais il ne s’inscrit pas moins dans l’histoire de la littérature.


Voilà votre Renarde qui pratique l’abnégation au nom de l’Art - ça me tirerait presque une larme.


PS: et en plus la couverture est trop moche. J'en grinçais des dents à chaque fois que je reprenais le livre.

lundi 31 mai 2010

Ce tag n'a pas de nom on dirait. Appelons-le "Le Tag"

Vous savez, on a beau se plaindre des tags, il y a tout de même un certain plaisir à en faire un - oh un plaisir coupable certes, secret, inavouable. Mais ce sont ceux là les plus rigolos, non?

Donc merci à toi Erzébeth, et à toi Fashion (ou pas)!


Signe particulier:


I often find myself elected the involuntary confidant of my acquaintances' secrets.

(Citation de Jane Eyre, légèrement remasterisée, mais si peu)


C’est-à-dire que les gens me prennent pour leur confesseur: c’est dans la plus stricte confidentialité qu’ ils me dévoilent la noirceur de leurs âmes, leurs désirs inavouables, leurs rêves inachevés, leurs restes d’espérance.


Et moi de m’écrier, deux fois sur trois:

Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace !
O désespoir ! ô crime ! ô déplorable race !

(vers entièrement de mon cru)(mais puisque je vous le dis)



Mauvais souvenirs :

Toute la paperasse que j’ai dû remplir pour aller aux Etats-Unis, les pièces que je photocopiais encore au milieu de la nuit, pour m’apercevoir à 6h du matin qu’il m’en manquait encore, alors que j’avais rendez-vous à l’ambassade à 9 h (où j’ai du faire la queue pendant trois heures, hein, sinon c'est pas drôle).

(Je redoute la première déclaration d’impôt et les premières candidatures pour un poste)

Aussi, la fois où je passais des oraux à Lyon, et où je me suis aperçue à la dernière minute que ma carte d’identité était restée dans ma veste, laquelle veste était dans la voiture de mon papa, lequel papa venait juste de quitter Paris pour rentrer chez nous en Lorraine. Crise de nerfs. Crise de larmes. (Rassurez-vous, ça se finit bien cette histoire de carte)

Mais aussi ce samedi matin, où j'ai dû me rendre à 450 km de chez moi, avec 4h de sommeil, la gueule de bois et perchée sur de hauts talons. C’était pour aller à un enterrement, qui était déjà très éprouvant à la base.

La vie est une jungle, je l’ai toujours dit.


Défauts:

Je suis extrêmement fière, je ne pardonne pas facilement, je suis trop passionnée et impulsive.

et je parle comme une ado.

et je suis coincée en public.

Et aussi - mais sont-ce des défauts? - Paresseuse, gourmande et élitiste. Les paresseux sont ceux qui font avancer le monde. Sans paresseux, pas de voiture, pas de télécommande, pas d’essuie-tout prédécoupé. Sans gourmandise, la vie serait bien triste. Sans élitisme, pas d'exigence envers soi-même ou les autres.

Hmmm qu'est-ce que j'ai l'air sympa tout d'un coup.


Film bonne mine:

Aladdin. A chaque fois que je le revois, je repère une nouvelle blague, un nouveau jeu de mot, une nouvelle parodie du Génie. Ce dessin animé me paraît inépuisable.

Et sinon: Certains l’aiment chaud.


Souvenirs d’enfance :

Ces gaufres là, fourrées à la vanille, les spécialités du nord de la France comme on en trouve chez Méert à Lille, vous voyez?

Cet énorme ballon bleu que j’ai laché et qui s’est envolé dans le ciel.

Mon premier amoureux de petite maternelle, qui se trouvait aussi être mon voisin, qui vient me kidnapper dans mon jardin pour m’emmener jouer dans son bac à sable. A 4 ans on défiait déjà l’autorité maternelle.

Les roses, les dahlias et le jasmin du jardin de ma mère.

Les dînettes que mes copines et moi organisions, avec des fleurs, de la terre et des cailloux en guise de jouets.

Et quand on jouait à la guerre dans un immeuble désaffecté.

Regarder des dessin animés avec mon frère, allongés sur une natte, les volets baissés à moitié.


Et voici le moment que l’on attendait tous: le nom des nouvelles victimes!

Je désigne Mo, Lilly, Praline et Rose. A vous les studios!